Pape Diouf fut une belle plume: Mababa Sports partage des extraits de son reportage consacré au regretté Jules Bocandé

Pape Diouf avait une vaste culture et une belle plume. Au lendemain de l’échec du Sénégal à la CAN 1992 tenue sur ses terres, il avait consacré quelques jours plus tard, dans l’hebdommadaire « Le Sportif », un reportage au regretté Jules Bocandé, capitaine de l’équipe nationale. Nous vous livrons ici des extraits de ce reportage.
Le blues de Jules Bocandé
La CAN a laissé des traces. Le capitaine des lions n’arrive plus à s’en remettre. Il n’a envie de rien, même pas de jouer.
“Il n’est plus le même, Jules. J’ai l’impression que la CAN l’a cassé “, dit son copain Bernard Lama, le gardien de but du Racing Club de Lens. “Il ne rigole plus comme avant, en fait depuis qu’il est revenu de Dakar. On voit qu’il n’est pas bien en ce moment “, confirme Roger Boli , un autre de ses potes. De Pierre Laigle, le jeune espoir du club à Jimmy Adjovi-Bocco, l’ami rasta, tous les joueurs lensois interrogés sur le sujet sont unanimes : Jules Bocandé, en perdant la CAN, a aussi perdu sa joie de vivre. Et, pire, peut-être, sa raison de jouer.
À Lens, dans le Nord de la France, pays de la bière, des frites et surtout du foot, tout le monde est heureux, ce samedi 15 février. L’équipe locale qui n’avait jusque- là remporté que deux victoires sur son terrain, vient d’épingler à son tableau de chasse le prestigieux OM. Les spectateurs qui ont assisté à la chute des stars venues de la Canebière, commencent à quitter lentement le stade Bollaert, ivres de bonheur et d’allégresse.
Debout, devant la porte des vestiaires marseillais, Raymond Goethals ne cache pas sa colère. La mèche plus rebelle que jamais et le discours toujours aussi pittoresque, il lance à la meute de journalistes collés à ses basques : “Ce soir, l’équipe de Lens avait un gardien entre les piquets. Pas nous, malheureusement “. Inutile de tendre davantage l’oreille pour comprendre que l’entraîneur belge est entrain de clouer littéralement au pilori Pascal Olmeta. (…)
A l’intérieur des vestiaires, les visages sont fermés. (…). Bernard Tapie retenu par ses obligations politiques, a déjà téléphoné et on sait ce que cela veut dire. La fureur du boss, même à distance s’exerce sur ses ouailles. Les jours qui viennent promettent d’être chauds à Marseille. De l’autre côté du couloir, c’est l’abri des Lensois . Le changement d’atmosphère est radical. Le bon coup joué au champion de France en titre irradie la joie et la fierté de tous côtés. Jules Bocandé, assis dans son coin, sourit lui aussi. Il ne veut pas détonner dans cette ambiance de franche euphorie. Mais, manifestement, le cœur n’y est pas. On sent que sa tête est ailleurs. “Ce match-là, dit encore Bernard Lama, c’était un match pour Jules. C’était l’occasion idéale pour le relancer, pour lui permettre de se retrouver complètement “.
C’est aussi la conviction de Arnaud Dos Santos, l’entraîneur lensois, tout disposé à titulariser son international sénégalais. Mais pas celle des principaux dirigeants du club, aux yeux desquels Bocandé n’est pas présentement au mieux et doit donc demeurer remplaçant.
L’intéressé qui a rué dans les brancards dans le passé pour moins que ça, ne se donne même pas la peine de protester.
Il va se contenter, une demi-heure avant le coup d’envoi de la rencontre, de conduire l’échauffement de ses camarades, d’assurer la mise en train.
Dans les vestiaires, à l’heure où tout le monde savoure la victoire, lui, n’est pas exubérant. Mais il s’efforce de sourire lorsqu’on lui adresse la parole. Puis, brusquement, il nous fait cet aveu : “ Je n’arrive pas à oublier notre échec en CAN. Depuis lors, je n’ai envie de rien, même pas de jouer. Alors pour ce soir, tu parles !”. Terrible aveu qui montre bien que l’élimination par le Cameroun s’est imposée à lui en terme de tragédie.
En septembre dernier, dans les colonnes de l’hebdomadaire le Sportif , Jules Bocandé déclarait : “Si le Sénégal perd la Coupe, tout va basculer “. Il ne savait pas alors que c’est dans sa tête que cela basculerait d’abord. On devait se revoir, plus tard dans la soirée, lors du dîner organisé par le club lensois pour parler de ses projets d’avenir. “Il ne viendra pas”, me prévient un de ses amis. Et il n’est pas venu. “Souffrir, a écrit Françoise Giroud, c’est vivre sans pouvoir vivre”. Jules Bocandé a besoin de revivre sa passion et d’oublier.
Pape Diouf (article publié dans le Sportif daté du 18 février 1992)