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Rugby

Rugby : « Le Sénégal a été un gros changement dans ma vie d’homme » Steeve Sargos (capitaine)

Bonjour Steeve, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs ? 

Je m’appelle Steeve Sargos, j’ai commencé le rugby dans les Landes à 15 ans. L’année d’après j’ai été repéré par le Stade Montois. Suite à cela j’ai intégré la sélection côte basque/landes avec une belle génération. On a été champions de France deux années de suite, après cela j’ai pris la direction du Biarritz Olympique.

Le Biarritz Olympique a été un rêve avant l’heure, inespéré”

Pourquoi êtes-vous rentrés dans le rugby aussi tard ?

J’ai un parcours familial assez atypique, je suis né à Bordeaux, j’ai été adopté par une famille dans les Landes dans un village près de Mont-de-Marsan. J’avais un physique assez atypique, j’étais pas très épais donc ma mère adoptive n’était pas trop fan pour que j’intègre le rugby aussi jeune. J’ai un peu de basket en attendant. J’avais un oncle dirigeant au Stade Montois qui a fait le nécessaire pour que je puisse aller au rugby.

“Le Sénégal a été la charge émotionnelle la plus intense de ma carrière avec mon premier match au BO”

Malgré votre grave blessure, êtes-vous satisfait de votre carrière ?

Oui bien sûr ! Sur le plan sportif, on peut toujours faire mieux mais je suis très satisfait de mon parcours. J’ai vécu des choses extraordinaires humainement. J’ai fait des rencontres grandioses grâce au rugby. J’ai surtout eu la chance de pouvoir faire des choix. J’ai validé des clubs, mes orientations par rapport à des entraineurs avec qui je voulais collaborer, des managers, des présidents, des joueurs. J’estime que c’est un privilège. Je n’ai pas regrets. J’ai arrêté le rugby à 40 ans et j’ai beaucoup de chance d’avoir pu jouer physiquement et mentalement jusqu’à cet âge-là. Je suis satisfait de mon parcours.

Quel regard portez-vous sur votre passage dans l’équipe du Sénégal ?

Je suis arrivé sur le changement de la fédération sénégalaise. Une structure a été mise en place, l’avantage que j’ai eu c’est qu’on a eu un staff stable. On a eu très peu de changements en quinze ans. J’ai eu 90 sélections. Cette stabilité dirigeante a fait que j’ai vécu l’épanouissement et l’agrandissement de la fédération.

Je me retrouve capitaine à mon deuxième match donc sur la durée des 80 matchs j’ai pu discuter avec les dirigeants. J’ai vu grandir l’équipe nationale. On est passés du groupe C au groupe A, on a vu passer beaucoup de joueurs. Le Sénégal a été un gros changement dans ma vie d’homme et dans ma vie de joueur. Ca a été la charge émotionnelle la plus intense de ma carrière avec mon premier match en première division avec le BO.

“A la base, j’étais pris pour faire le stage à Madrid avec l’équipe d’Espagne”

Pouvez-vous développer le fait que ça ait changé votre vie d’homme ? 

Je suis arrivé à 23 ou 24 ans en équipe nationale, j’avais jamais mis un pied au Sénégal, je connaissais pas ma famille sénégalaise. J’ai été adopté donc je n’avais aucune connaissance. Je jouais à Oyonnax en Pro D2 à Aix où jouait Léon Loppy et je me retrouve en sélection comme ça. A la base j’étais pris pour faire le stage à Madrid avec l’équipe d’Espagne car ma mère est espagnole. Léon Loppy a eu les mots pour me convaincre de rejoindre cette sélection qui était sans budget, sans rien. C’est cela qui m’a plu, l’aventure humaine. Tu pars pour zéro. On était deux ou trois pros à l’époque. Pour moi ça montrait déjà la valeur des hommes avec qui j’avais joué. C’était déjà beaucoup pour moi. C’est ce qui m’a plu dans ce projet.

Vous n’avez pas eu de regrets de choisir le Sénégal donc ?

Non bien au contraire (rires) car suite à ce voyage il y a eu une reconnexion familiale très émouvante. La rencontre avec ma famille paternelle, ma culture, mes racines, les mœurs, l’odeur de l’Afrique. Jouer au stade Léopold Sédar-Senghor devant 35 000 personnes, ça a été quelque chose d’extraordinaire qui m’a changé la vie. Malgré mon début de vie difficile d’un point de vue familial et sentimental, où je n’ai pas eu de chance, la roue a tourné. J’ai eu ce privilège de découvrir mon pays, mon bled et je suis fier de l’avoir représenté avec le brassard pendant ces quinze années.

Au delà du sport, tout ce qu’incarne ce peuple. Je suis très satisfait, très fier. Cela a été très fort d’un point de vue émotionnel. C’est difficilement mesurable parce que c’est tellement immense quand tu te retrouves avec le brassard devant 40 000 personnes, où il y a ta famille. Tu es dans le pays de ton père, de ton grand-père. C’est assez symbolique pour moi, cela peut paraitre spécial mais cela a été très fort. Ca a vraiment changé ma vie d’homme. Je n’ai plus été le même après ce premier voyage.

Cela a été plus que du rugby en fait ? 

C’était avant tout le reste, le rugby est venu le samedi à 16h00 au stade Léopold Sédar-Senghor. Ce que j’ai pu croquer du samedi d’arrivée au vendredi soir veille de match a été quelque chose…je ne sais pas si j’ai égalé cette émotion en vingt ans à part la naissance de mon fils.

“On a été plusieurs pros à avoir porté le maillot de la sélection nationale et je ne connais pas un seul joueur dans l’équipe dirigeante de la fédération”

Que manque-t-il au rugby sénégalais pour un jour devenir l’égal du football ?

Déjà l’impact médiatique. Au Sénégal les sports nationaux sont la lutte et le football. On est loin de la reconnaissance médiatique des Lions et des lutteurs. On a pas leur enveloppe économique. On n’a pas les infrastructures. On a pas les partenaires, les sponsors, le matériel. J’ajouterai aussi qu’il n’y a pas un accompagnement des jeunes, comme on peut l’avoir en France. Il n’y a pas de ramassage par exemple, trop peu de rugby dans les écoles. Cela fait donc beaucoup de choses. Malgré les moyens que l’on a eu, le parcours est beau car avec pas grand chose on est tout de même arrivés au sommet de l’Afrique, c’est-à-dire le groupe A. C’était mon objectif. J’avais un rêve qui était de disputer la Coupe du monde en 2007.

On perd un match contre la Namibie sur une erreur arbitrale…aujourd’hui encore je me demande ce qu’il a pu siffler ce jour-là. Si tu veux faire de grandes choses avec une fédération et une équipe nationale, il faut qu’il y ait de grands moyens derrière. Même si on est l’Afrique. Les sud-africains sont sur le toit du monde parce que derrière il y a des moyens incomparables avec tous les autres pays d’Afrique. C’est la même chose pour la Namibie où il y a des infrastructures, des centres de formation. Tous les joueurs qui ont été en sélection intègrent la fédération. Je ne pense pas qu’au Sénégal cela soit le cas. On a été plusieurs pros à avoir porté le maillot de la sélection nationale et je ne connais pas un seul joueur dans l’équipe dirigeante de la fédération. C’est ce qui m’interpelle un petit peu.

Cette faute de moyens, à qui la faute selon vous ?

Je n’ai pas le pouvoir de donner mon jugement là dessus. J’ai mon idée dessus bien sûr. Je me suis battu pendant 14 ans sur certains détails là-dessus. Il y a des modes de fonctionnement économiques qui leur appartiennent. La fédération a une stabilité depuis quinze ans donc aujourd’hui je ne peux pas me permettre de critiquer. La seule chose que je peux dire en tant qu’ancien capitaine de la sélection nationale c’est qu’il y a quelques lacunes. Je pense qu’on aurait pu faire de grandes choses si dans la continuité de cette génération de joueurs ils avaient intégré des éléments dans la fédération. Nous étions les mieux placés pour comprendre la fédération, pour comprendre les expatriés et le rugby local.

C’est pas un choix politique ou fédéral mais voilà. Avec les cadres on est restés sur notre faim, c’est dommage. En même temps c’est à l’image de notre non-qualification sur ces quinze ans de collaboration peut-être. Comme sur le rugby à 7, féminin. Je n’ai toujours pas compris pourquoi on est partis prendre des gens extérieurs qui viennent d’horizon différent, qui n’ont aucun lien avec la fédération, avec la culture, le rugby sénégalais.

Aujourd’hui je peux parler de Jean-Marc Foucras parce que j’ai fait 14 ans avec lui, un homme originaire de Castres. Pour moi c’est lui l’emblème du staff, et pas un autre. C’est vraiment lui qui pour moi est le représentant. Aujourd’hui il connait le Sénégal, il est vraiment impliqué, il a toujours été là. Il s’est impliqué sur le rugby local, sur son évolution.

Il a mis sa patte et aujourd’hui c’est comme un père rugbystique. Après je n’ai pas compris pourquoi il y a pas eu une continuité à la suite de son départ avec les gens qu’il a pu aider, former. Je suis pas le seul dans ce cas-là. Yogane Corréa, Felix Mendy, c’est étonnant qu’on ait pas pu intégrer tout ça car on s’engageait à 100% dans le projet, on était pros donc quand on venait en sélection ce n’était jamais les mains vides. On s’engeait à fond, on revenait avec des ballons, des maillots etc…En même temps ça ne me surprend pas, par rapport au combat qu’on a pu mener en tant que joueur.

“Moi quand j’ai signé à Vannes, la première chose que le manager m’a dit c’est “tu gagnera moins pour t’entraîner plus »

Vous avez été capitaine de Vannes, aujourd’hui ils foncent vers une montée en Top 14, personnellement cela vous fait quelque chose ?

Je suis encore beaucoup le club, je suis en contact avec certains joueurs avec qui je suis très proche. Je m’entends bien avec le manager, Jean-Noël Spitzer, qui reste l’une de mes plus belles rencontres rugbystiques. J’ai adoré l’homme, le manager, son approche sur le sportif. Aujourd’hui ça fait une quinzaine d’années qu’il est là. C’est la récolte de sa semence, il n’y a rien de surprenant car c’est un acharné de rugby.

C’est un connaisseur fin du rugby, il a une idée très précise de ce qu’il veut mettre en place. Il a une idée spécifique de la colonne vertébrale de sa structure. Je vous parlais d’incompréhension sur l’aspect humain, sur la composante de l’équipe dirigeante du Sénégal, autant lui il a pris que des joueurs expérimentés qu’il a eu sous sa coupelle et il les a mis dans son organigramme. Il n’y a pas de secret. Quand tout le monde connaît la maison, travaille sur la même longueur d’onde et de la même façon…on se projette sur des résultats positifs. Aujourd’hui il est juste à la finalité d’un travail qu’il met en place depuis plus de dix ans. Quand on regarde saison après saison, la courbe est toujours croissante. Le recrutement est toujours ciblé, réfléchi.

Humainement, les joueurs ressemblent au manager avec beaucoup d’humilité, d’implication, de combativité. C’est ce que je respecte car c’est un peu à mon histoire avec le Sénégal. On ne parle pas d’argent. Moi quand j’ai signé à Vannes, la première chose que le manager m’a dit c’est “tu gagnera moins pour t’entraîner plus”. C’est ce qui me plait dans le rugby même si on est passé pro, même s’ il y a de l’argent. Je trouve ça bien que les joueurs soient tout de même reconnus à leur juste valeur mais il ne faut pas perdre le côté humain, le côté plaisir de ce sport. Car cela ne reste qu’un sport, un lien social, un vecteur social. Il ne faut pas oublier l’essence, la base de ce sport.

“J’ai entendu des horreurs qui dépassaient tout entendement dans un stade avec des enfants, des pères de famille, d’un certain âge”

Vous avez subi du racisme au cours de votre carrière, pourquoi avoir pris cela avec du recul ?

J’ai pris cela avec un certain recul car j’ai eu la chance de beaucoup voyager dans ma vie et dans ma carrière. C’est ce que le rugby m’a apporté. Le petit orphelin des Landes a fait le tour du monde grâce au rugby. Il y a des voyages qui te marquent. L’Afrique du Sud m’a marqué, le Sénégal m’a marqué. Il y a plein de pays qui te marquent. Moi je suis métis avec un papa noir, sénégalais et une maman espagnole, mate, blanche. Au final avec le métissage tu es de partout mais de nul part.

Je me souviens au début quand je suis arrivé au Sénégal ils m’appelaient le toubab car j’avais cet accent du Sud, les cheveux bouclés qui font que je ressemble à tout sauf à un sénégalais. Par contre quand j’étais en France on m’appelait le black, le renoi. Donc j’ai eu une période à 20-25 ans où je savais pas trop ce qu’il en était, je suis un black ? Je suis un blanc ? Et puis il y a eu ces rencontres avec tous ces grands joueurs de couleur noire.

Lawrence Sephaka, le pilier de l’Afrique du Sud avec qui je me suis lié d’amitié lors d’un match, Serge Betsen, j’ai pu croiser beaucoup de grands joueurs. Un jour j’ai eu la chance de partir avec les Barbarians Africains avec François Pienaar en manager qui était le capitaine des Springboks en 1995. Il m’a dit “tu es mon Chester Williams à moi” Je crois qu’il a compris dans mon comportement qu’il était ébahi de ce que je voyais en Afrique du Sud. La fin de l’Apartheid, les gens de couleurs différentes qui se tenaient pas la main etc.. je suis choqué.

A ce moment-là tu prends beaucoup de recul. On dit que le voyage c’est l’école de la vie, le rugby c’est l’école de la vie finalement. J’ai eu cette corde tressée qui m’a fait prendre de la hauteur là-dessus. Ma seule réponse je la donnais sur le terrain. Tu cultives un petit côté qui peut paraître arrogant. Ta tenue, ta posture sur le terrain, ton regard sur les autres, ta façon de t’adresser aux autres. C’est ça qui m’a fait prendre de la hauteur, donc je m’en suis fait un amusement de ça, un jeu. J’ai voulu transformer cette bêtise humaine en blagounette intellectuelle, tout simplement. Cela a été mon terrain de jeu le racisme.

J’en ai parlé pour la première fois l’année dernière dans un article de presse parce que j’ai joué dans les dernières années à un niveau amateur et ça m’a un petit peu touché parce que j’étais sur la fin, dans un petit club. J’ai entendu des horreurs qui dépassaient tout entendement dans un stade avec des enfants, des pères de famille, d’un certain âge, des insultes quand on vient s’échauffer…À un moment donné…Des cris de singe etc. Je l’ai accepté pendant 20 ans et j’ai décidé d’aboyer un petit peu il y a deux ans. C’est quelque chose qui ne m’a pas forcément touché. Quelqu’un qui va me traiter de sale nègre je vais penser mais quel inculte quoi. C’est plus ça la réaction que je vais avoir, c’est pas une réaction de vengeance, de colère, de conflit, d’acharnement.

“Quand tu joues jusqu’à 40 ans forcément t’as besoin d’un break à un moment”

Avez-vous des projets dans le rugby pour les années à venir ?

Oui je suis en contacts avec certaines personnes sur certains projets. J’ai arrêté le monde pro en 2015, c’est tout frais, j’avais besoin d’un peu de recul. Je suis parti en région bordelaise dans un club amateur où j’ai collaboré avec un grand monsieur, Heini Adams, qui m’a plus transmis le côté après-joueur. Ce qui m’a permis de prendre un peu de recul. Heini m’a fait entrer à l’UBB où j’ai pu entraîner les buteurs dont Matthieu Jalibert.

J’ai pris beaucoup de plaisir. Il y a deux ans j’ai tout coupé car quand tu joues jusqu’à 40 ans forcément t’as besoin d’un break à un moment. C’est rigolo parce que actuellement je suis retourné chez ma famille dans le Pays Basque et j’ai des touches qui se présentent, on me propose certaines choses. C’est vrai que ça me fait sourire mais en même temps c’est pas déplaisant, il y a toujours la petite flamme qui est là donc ça sent bon pour un petit retour oui.

 

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